CPE n’est pas un métier

« S’attaquer au métier c’est engager la controverse », Yves CLOT.

J’ai commencé à engager cette réflexion durant la longue période avant les vacances de Noël, en écoutant des collègues en de souffrance professionnelle, s’estimant peu reconnus ou utilisés comme déversoir de tout de ce que personne ne veut faire dans les établissements. La place particulière du CPE peut lui faire subir la façon dont les différents services vont occuper leurs champs d’activité professionnelle, dans un contexte local et national, de l’ établissement au contexte socioéconomique. On sait que nous sommes particulièrement exposés aux risques psychosociaux. A trop être partout et nulle part, l’épuisement, la dispersion et la perte de sens guettent.

Au retour des vacances, de plus en plus de collègues ont manifesté leur lassitude d’effectuer la sous-traitance de la CPAM ou de l’ARS au mépris de leurs tâches éducatives dûment listées par leur référentiel officiel de compétences. C’est l’illustration même de ce fameux écart entre le travail prescrit et le travail réel. Cela signifie-t-il que le professionnel peut ne pas faire une partie de son travail prescrit sans conséquences visibles, quantifiables, et se transformer en opérateur de saisie ? C’est comme si l’activité du CPE, travailleur éducatif de fond, peut être minimisé sans que ça pose problème à personne.

Car, de leur côté, même écrasés par la succession de protocoles sanitaires, en situation pédagogique dégradée, face à des classes à l’effectif flottant, les enseignants enseignent quand même.

Tout se passe comme si le CPE, (fonction, métier, profession ?), dépendant de l’action concertée au sein de la communauté éducative, et donc fragilisé, était perpétuellement en quête de légitimité professionnelle.

On sait ce que n’est pas un CPE, ni infirmière, ni assistante sociale, ni Psychologue scolaire, ni enseignant, mais qu’est-il donc ? Educateur ? Serait-ce le seul en établissement scolaire ? Bien sûr que non.

Il n’est pas enseignant, il n’a donc pas de contenu programmatique, il ne crée pas non plus de contenu pédagogique. L’enseignant a une identité professionnelle clairement identifiée liée à son domaine disciplinaire. Son discours éducatif lié à sa gestion de classe est également lié à son champ disciplinaire.

Le CPE produit certes du discours éducatif, mais là on l’attend principalement, et avant toute autre activité, puisque c’est la seule dont il partage en propre la responsabilité avec le Chef d’établissement, c’est sur la gestion du service vie scolaire. C’est le CPE « chef de service » ou manageur de la Vie Scolaire, termes ô combien clivant dans la profession !

Même si le suivi individuel de l’élève est central dans son référentiel de compétences, il n’est pas le seul à y contribuer, fort heureusement.

Il peut concevoir des modules de formation de délégués, des sensibilisations au harcèlement, à la citoyenneté, etc, mais cela ne définit pas non plus son activité de fond. Mais alors quelle perception du métier en avoir ?

Mon opinion est que le CPE est une fonction transversale, un intermétier, une excroissance issue d’un impossible collectif éducatif dans les établissements du secondaire en France où il est perçu plus comme une contrainte que comme une ressource. Alors même qu’il rompt l’isolement et renforce la capacité à travailler seul.

Le terme d’intermétier est notamment utilisé dans le secteur de la santé, dans l’enseignement spécialisé (suivi des élèves à besoins spécifiques) et en REP où il a été problématisé pour faire travailler en partenariat des équipes d’administrations diverses (Marie, Préfecture, école, collège, etc).

C’est comme si le CPE était la représentation formalisée, personnifiée, de ces temps de coordination, ces carrefours et ces intersections dans le système scolaire français.

On pourrait croire qu’il est défini par la notion d’interstice à la croisée des différents services, qu’il remplit les creux ou les trous d’une position statique parfois subie. Nous avons vu que la crise sanitaire a véritablement envahi cet espace interstitiel, ce qui a généré beaucoup de frustrations chez les collègues se redéfinissant douloureusement comme « secrétaire honoraire » de l’ARS et de la CPAM.

Sauf que cet espace doit être un lien dynamique entre individu et collectif, entre enseignants et équipes pédagogiques, entre l’élève et sa classe, entre l’élève, sa classe et l’établissement. On a pu évoquer une courroie de transmission ou une « charnière » pour définir notre fonction.

C’est donc plus un métier de la médiation que du lien, il introduit du « jeu », c’est-à-dire de l’humain, de la souplesse et de l’empathie, entre les différentes pièces du mécanisme que sont le fonctionnement d’un établissement scolaire couplé avec l’administration opaque qu’est l’éducation nationale. Pour le CPE, la posture relationnelle est un enjeu stratégique. Pour rappel et pour ne donner qu’un seul exemple, expliciter le fonctionnement d’Affelnet ou de Parcoursup auprès des usagers, n’est en aucun cas une sinécure. C’est pourquoi ce travail est partagé et indemnisé.

L’historique de son identité professionnelle peut le conduite trop souvent à incarner le rôle du « contrôleur de production » des punitions et sanctions, à la fois hors et dans la classe, avec son cortège de désordres scolaires (bavardages, contestation, etc.) qui relèverait de la conduite de classe. Il y a là un continuum entre éducatif et pédagogique qui n’est pas assez étudié, précisément à cause de la division du travail éducatif.

Avec la superposition des dispositifs (Vigipirate, protocole sanitaire, alerte rixes, programme de lutte contre le harcèlement, PPMS, etc.) le contrôle des flux, des effectifs et de la sécurité matérielle et psychologique des élèves est devenu également un aspect prépondérant du métier.

Cela posé, peut-on estimer que la formation professionnelle et l’accompagnement dans l’entrée dans la fonction se constitue sur cette base ? Car elle suppose des compétences de communication (débattre, persuader, convaincre, fédérer) et même de métacommunication, des compétences de formalisation (pour préserver la mémoire du travail collectif pour le suivi des élèves par exemple) et des compétences prudentielles liée à son rôle de médiateur.

En tant que néotitulaire ou contractuel sans expérience, est-on suffisamment armé pour analyser les situations de manière stratégique mais aussi systémique ? Pour défendre son positionnement en ayant en tête les enjeux (explicites et implicites) professionnels de nos collègues de travail, les problématiques des usagers et la dimension omniprésente et impensée des affects ? Le terme d’interdépendance n’est pas trop fort pour définir ce qui nous lie en tant que communauté éducative.

Le CPE doit pouvoir être en mesure de donner du sens à sa fonction en la délimitant par rapport à un cadre prescrit pour imposer son champ d’intervention à son tour. Cela suppose d’être diplomate et assertif en même temps, et sagace au sens socratique.

Cependant, ce champ est défini par une politique éducative générale et un style de pilotage d’établissement. Quelle place donnent le ou les chefs au CPE dans leur vision du fonctionnement d’un établissement ? On trouve de nombreuses études sur les CPE et leur relation aux familles, aux élèves, sur le CPE manageur des AED, mais il y a fort peu de choses sur la relation CPE/Chef d’établissement qui est pourtant centrale, avec de potentiels conflits de subordination et de représentations.

Ils doivent trouver ensemble une façon de coopérer et d’installer une synergie où chacun a sa place. Le chef d’établissement a intérêt à laisser à son CPE de l’autonomie, à condition qu’ils aient une vision commune du métier, même partielle, ce qui lui donnera de la légitimité à ses yeux. Et le CPE, même concepteur de son activité, a tout intérêt de son côté à saisir le sens de la vision de son supérieur hiérarchique, qu’elle soit guidée par une éthique ou par un fonctionnement opérationnel. Cette vision a toujours un sens intrinsèque qui peut lui servir et venir enrichir sa pratique professionnelle, y compris par la controverse.

Face aux exigences institutionnelles et sociétales, le CPE doit sanctuariser son champ d’action, le structurer le plus possible et le rendre visible et lisible pour asseoir sa légitimité. Les collègues font un travail acharné dans les établissements, malheureusement ce qui émerge n’est parfois qu’une toute petite partie de leur intervention.

8 commentaires sur « CPE n’est pas un métier »

  1. Personnel de direction depuis 13 ans, je suis un ancien CPE. L’exercice de ce métier multiforme est en interaction avec tous les champs de l’éducation. Il croise aussi des trajectoires individuelles. Votre réflexion est riche et sans doute nécessaire pour contribuer à le faire évoluer. Si un échange se crée je participerais avec plaisir.

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  2. Malgré les pistes de réflexion pertinentes liées à la pratique du métier d’une part et al à rédaction d’autres part, je trouve le titre peu emprunt de réflexion malheureusement et je trouve dommage…un titre plus élaboré et moins simpliste aurait eu le mérite de mettre cet article encore plus en valeur et de solliciter une réelle réflexion …

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  3. Je suis CPE dans un CFA. Je ne dépends pas de l’Education Nationale, mais notre fonctionnement, et mes missions sont quasiment les mêmes. Merci beaucoup pour cette réflexion, qui illustre parfaitement ce que je vis, ce que je ressens au quotidien. Nous faisons un métier dans lequel nous nous sentons régulièrement isolés et découvrir que nos difficultés sont partagées rassure un peu. Bon courage.

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  4. Si le constat est imparable, et je vous remercie de participer à la visibilité de celui-ci, je m’inscris en faux concernant la conclusion.
    Chaque CPE ne devrait pas sanctuariser son champs d’action, ni œuvrer quotidiennement à asseoir sa légitimité. Celle-ci devrait un préalable.
    C’est malheureusement un écueil structurel que beaucoup d’entre nous, CPE, ont déjà rencontré : la nécessité de bâtir sa légitimité. Alors je pose la question : avez-vous le sentiment qu’un professeur ait le même besoin ? Qu’un chef d’établissement ait le même besoin ?
    Il y a là un impensé, consécutif aux évolutions importantes du métier depuis 50 ans, que la masse dans laquelle nous sommes fondus, invisibilisés en matière de représentation, ne permet pas de questionner. Il ne faut pas l’accepter pour autant…

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  5. Merci Yves de votre article, qui est la parfaite illustration de ce que ressentent bp de collègues. Je suis cpe depuis plus de 30 ans, j’ai toujours exercé mon métier avec plaisir. Jusqu’au jour où j’ai été confrontée à une toute nouvelle équipe de direction qui m’a plongée dans un isolement total. Aucune communication, aucun échange, destruction psychologique massive….jusqu’à l’épuisement complet. La recherche constante de légitimité et de visibilite peut mener a la folie. Je me remets doucement.

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  6. La disparition tout autant que la création du corps de métier des CPE relèvent de l’énigme sociétale française toujours encline à se différencier du reste du monde mais également à ne pas saisir les réalités contemporaines de celui-ci.
    Un temps envisagé le métier de professeur d’éducation, un autre celui de surveillant général le CPE se dresse dans un système scolaire toujours plus instable avec un équilibre difficile à trouver. Il n’y a pas un CPE type, d’ailleurs les contenus de RAEP au concours interne en attestent fort bien.
    La crise existentielle de ce métier ne sera pas réglée tant qu’une radicalité dans le positionnement, les actions et l’autonomie conceptuelle ne seront pas réglés.
    Alors à quand un véritable cap? La disparition ou l’émancipation ?

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