Octobre dans mon LP du bâtiment.
On est presque arrivé aux congés de Toussaint et les retenues, rapports, sanctions, se ramassent à la pelle. L’énervement se fait sentir chez tous les acteurs de la communauté éducative.
Pour pouvoir agir sur les dysfonctionnements se produisant durant les cours, et analyser finement l’implicite résidant entre les lignes des rapports d’incident et rapports disciplinaires, il me paraît indispensable que le CPE ait déjà fait l’expérience de gérer un groupe de jeunes.
En cela, la formation au BAFA, une expérience dans l’éducation populaire, dans l’encadrement sportif, dans l’animation ou même le scoutisme sont de précieux atouts pour tout éducateur. J’ai eu la chance de recruter des assistants d’éducation issu du secteur de l’animation et ils ont donné toute satisfaction. J’ai eu le plaisir d’avoir des AED tout d’abord mal à l’aise dans la relation éducative puis évoluant vers une posture d’initiateurs de projets sportifs, trouvant par là une alternative au discours comminatoire.
L’autorité, en tant qu’influence sur un groupe, n’est guère préexistante, ni même innée ou incarnée par magie, elle ne se décrète pas, elle se réfléchit et se construit. Notamment avec les jeunes non normalisés, qui questionnent la légitimité et le sens même de l’école et donc la légitimité de l’enseignant ou tout personnel éducatif.
On parle d’éducation positive, de bienveillance et d’empathie en opposition avec les valeurs répressives d’antan dont l’autoritarisme qui visait à obtenir la soumission. Quand le professeur peine à faire cours, la bienveillance n’est pas sa première préoccupation. Il veut juste que que sa parole soit légitime, il veut être habité par la chaleur du Logos.
Grande est la tentation de suivre le même chemin que les élèves : M. X fait trop de rapports d’incidents, il crie beaucoup mais il n’a pas d’autorité, il ne sait pas gérer sa classe, jugement qui ne résout absolument rien. Les apprentissages ne peuvent toujours pas avoir lieu.
Que faire quand la parole de l’enseignant est démonétisée ?
Ainsi, certains collègues enseignants se sentent dépossédés de la puissance du langage pédagogique, impuissants face à des élèves ayant un rapport distancié aux savoirs humains et même aux savoir-faire.
Dans la notion de métier réside la relation au monde, l’exercice du métier influence le réel, façonne et transforme la matière. Dans la posture éducative, le langage est modélisable en tant qu’action symbolique.
Dans la théorie des actes de langage, John L. Austin (Quand dire c’est faire, 1962), postule le fait qu’un individu peut s’adresser à un autre dans l’idée de faire quelque chose, transformer les représentations de choses et de buts d’autrui, plutôt que de simplement dire quelque chose : on parle alors d’un énoncé performatif, comme celui d’un juge ou d’un prêtre.
Il serait utile pour les professionnels de la relation éducative comme les CPE de développer une pensée et une pratique spécifique de la communication. Tout discours éducatif vise d’abord à appuyer sa légitimité vis-à-vis de l’usager (parent ou élève) en portant le discours « attendu » de l’école, c’est-à-dire un ensemble de normes du monde scolaire.
L’interaction éducative peut être perçue comme un drame, dans le sens de représentation théâtrale, avec une communication par nature oralisée.
Kenneth Burke, théoricien américain, pense que l’étude de la rhétorique peut aider l’être humain à comprendre « ce qui se passe lorsque les gens disent ce qu’ils disent et pourquoi ils font ce qu’ils font ». Il nomme une telle analyse « dramatisme » et considère que cette approche linguistique peut permettre de cerner les bases du conflit, les vertus et les dangers de la coopération, et les opportunités de l’identification au sein du discours.
Que devient la notion de bienveillance chère à Christophe Marsollier quand l’enseignant est en difficulté ? On est bienveillant quand on se sait capable d’exercer un pouvoir d’agir sur la dynamique de classe, sur la motivation des jeunes, quand on se sait capable de jouer sur les individualités et sur l’humeur du groupe classe avec la fluidité d’un chef d’orchestre.
L’éducation est ce qui s’accomplit par l’usage même de la parole, donnant les règles complexes du jeu scolaire et offrant des clés de compréhension du monde.
En lisant un soir un article sur la crise énergétique, il m’est venu subitement en mémoire, avec une stupéfiante clarté, des éléments de cours de géographie sur les ressources et besoins en énergie. J’étais lycéenne. C’était il y a 30 ans. Tout était déjà là.
Dans une vidéo Youtube de l’Université de Louvain intitulée le Charisme en politique, un chercheur analyse la posture d’hommes et de femmes politiques et en déduit que la meilleure manifestation du charisme est un juste mélange de joie et de colère.
Il nous faudrait tâcher de retrouver, au moins par fragments, la joie pure d’être en lien, d’être humain, d’être éducateur dans un monde incertain.